Guillaume Nicloux s’inspire de « La Religieuse » de Diderot afin de mettre en scène un film au titre éponyme. Se déroulant à la fin du 18 ème siècle, le récit qu’il développe questionne les droits de la femme et son émancipation alors que son seul devenir est le mariage ou le couvent. Il signe un film de facture classique au sein duquel Pauline Etienne s’impose comme superbe.
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« On n’est jamais plus prêt de Dieu que quand on pleure »
Alors qu’il lui tarde de rentrer chez elle, Suzanne voit son noviciat être une nouvelle fois prolongé. La raison est simple : sa famille est décidée à la contraindre à entrer dans les ordres. Si Suzanne résiste de la plus belle des manières – à force de réflexion et d’arguments – elle se résigne avec fatalité à accepter le destin que l’on veut sien. Toutefois elle est incapable de mentir à Dieu.
La structure scénaristique se développe sur base d’un récit encadré. Un jeune marquis rentre chez lui où son aïeul est souffrant et découvre un manuscrit, « Les mémoires de Suzanne Simonin », dont il entame la lecture. Cette amorce permet alors de basculer dans l’évocation. Celle-ci est elle-même encadrée par la voix de Suzanne (projection de ses notes manuscrites) permettant de faire corps avec son ressenti et son point de vue. « Deux ans plus tôt », Suzanne semble plaire au prétendant de sa soeur, dont elle ne veut pas la priver, et, pour éviter toute confusion, est éloignée du foyer et entre en noviciat. Dotée de raison, Suzanne ne veut ni être nonne, ni se marier : elle aimerait exister en tant qu’individu libre et « voir le monde ».
Si l’approche de Guillaume Nicloux et de Jérôme Beaujour est indéniablement narrative, elle met en question la liberté de la femme à travers l’importance de la ritualité. Celle-ci est liée au fonctionnement de la société et se retrouve également dans le culte et dans la « normalisation » de chaque chose. Suzanne est littéralement dépossédée d’elle-même et doit, en raison de son statut, obéissance. Son esprit, pourtant, s’oppose à cette logique. Si certaines séquences mettent en scène avec acuité le rituel qui s’impose à la jeune fille et qu’elle intègre le plus souvent, les scénaristes dépeignent les grands mouvements qui composent les deux années qui précèdent la lecture des mémoires de Suzanne sans pour autant faire corps avec elle. Le commentaire en voix-over signe peut-être l’effet inverse qu’escompté en engendrant une distanciation due à l’artifice-même. Toutefois, malgré quelques longueurs et quelques changements de point de vue peu ou pas développés, la ligne narrative qui retrace le parcours de la jeune fille est fluide et soulève de nombreux enjeux.
L’approche esthétique est duale, Guillaume Nicloux témoignant à la fois d’un certain classicisme dans la mise en scène et d’une volonté de rendre réalistes et vivants, presque contemporains, l’univers mis en scène et les protagonistes. Le travail sur la lumière et sur la photographie semble ainsi engendrer de nombreux contrastes entre colorations chaudes et froides, fixité et mouvement.
S’il peut apparaître dommage de ne pas pleinement partager le ressenti de Suzanne, l’interprétation de Pauline Etienne est troublante. Face à elle, Françoise Lebrun, Isabelle Huppert ou encore la sublime Agathe Bonitzer excellent et valent le détour ! A l’exception de Louise Bourgoin, qui manque cruellement de crédit, l’ensemble du casting apparaît admirable.
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LA RELIGIEUSE
♥♥
Réalisation : Guillaume Nicloux
France / Belgique / Allemagne – 2012 – 114 min
Distribution : O’Brother
Drame
Berlinale 2013 – Compétition Officielle
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Mise en ligne initiale le 12/02/2013